La marge a beaucoup à nous apprendre
« Utiliser les bordures et valoriser la marge » est l’un des principes proposés par la permaculture. Si, en général, on pense aux bordures entre deux écosystèmes et aux marges des zones de cultures, toutes les sortes de bordures et de marges sont des trésors de ressources…
Bordures et marges
En permaculture, la bordure fait souvent référence à la zone entourant des espaces cultivés ou aménagés ; bord d’une butte de culture, bordure d’un chemin, d’une marre, d’une haie… Souvent « laissées pour compte » en raison des difficultés pratiques que l’on peut trouver à les cultiver, les bordures sont pourtant une source incroyable de vie, car elles combinent les caractéristiques et les avantages des deux types d’écosystèmes entre lesquels elle se trouve. Dans la nature, la lisière de forêt en est un exemple parfait : ensoleillée mais plus fraiche qu’une zone défrichée, au sol meuble et absorbant mais plus vite réchauffé au printemps, la lisière offre de bonnes conditions autant pour les espèces aimant la forêt que pour celles appréciant la prairie, ainsi que pour de nombreuses autres plantes et créatures typiques des lisières. Cornes d’abondances, ces zones sont donc avantageuses à valoriser, autant pour la Nature que pour l’Homme, et c’est pourquoi on cherchera parfois à créer des zones de bordure aussi vastes que possible. On choisira, par exemple, d’augmenter la longueur totale des contours de notre marre en lui donnant une forme très irrégulière.
La marge, quant à elle, est aussi une bordure… Que l’on a tendance à oublier car elle se trouve au bord de quelque chose, sans vraiment en faire partie non plus. Prenons l’exemple d’un champ cultivé en agriculture conventionnelle, séparé d’un champ bio par une « zone tampon ». Cet espace ne peut pas être cultivé en bio, et ne fait pas partie du champ conventionnel… A la marge de ces deux champs, on pourrait penser qu’il ne sert à rien ni personne. Que nenni ! Puisque cette zone n’est pas cultivée, elle peut s’épanouir dans son plein potentiel : on y trouvera toutes sortes de plantes et d’insectes absents des espaces cultivés, et le sol se régénérera progressivement grâce à l’absence de culture. En somme, cette zone sera belle et vivante à sa façon, pleine de ressources inexistantes dans les cultures bios et non bios qui l’entourent, et pourtant infiniment utile pour chacune de ces cultures (par exemple, les insectes qui y vivent sont de précieux auxiliaires à la régulation de certains ravageurs).
Et dans le quotidien ?
Notre société n’est que bordures et marges. Si l’on pense à nos « zones » du quotidien, par exemple le temps de trajet entre la maison et le travail est une bordure, tout comme le moment séparant l’éveil du sommeil. Cela vous semble tiré par les cheveux ? Et pourtant, chacune de ces périodes peut être valorisée : le trajet entre maison et travail peut être « optimisé » en faisant du co-voiturage, en passant faire des courses sur le chemin, en appelant un ami ou en lisant un livre dans le train… Alors que le moment entre éveil et sommeil peut être l’occasion d’une courte méditation relaxante.
Les marges humaines
Cependant, de toutes les marges qu’on oublie souvent, la marge humaine est probablement la plus importante. Il ne revient qu’à vous d’identifier qui est, selon vous, « à la marge » : il se peut par exemple que votre voisin, par ailleurs tout à fait « normal » selon les critères de notre société, soit à la marge de vous-même car ses idées, ses façons de faire et ses habitudes sont profondément différentes des vôtres. Or, comme toutes les marges, la marge humaine recèle de précieuses ressources que vous pouvez valoriser. Peut-être que le mode de vie et de pensée de votre voisin vous agacent au plus haut point, il n’empêche que sa personne regorge de connaissances et de qualités que vous n’avez pas. Par ailleurs, sa façon de voir, bien loin de la vôtre, pourrait vous donner à l’occasion un regard neuf et salutaire sur une situation, un questionnement… Et faire naître de nouvelles idées bénéfiques pour vous et votre projet.
C’est parfois en pensant qu’on est très ouvert-e, qu’on est au contraire très borné-e… En sachant reconnaître que chacun-e peut être utile aux autres, on valorise la marge tout en favorisant de précieux échanges, pour une vie pleine de partage 🙂
Et dans le design urbain, le paysage voire l’architecture et l’urbanisme, tant de domaines où la marge est utilisée grandement. Dans ces disciplines du projet (designer), la marge est pour nous très intéressant, par exemple, un trottoir bordant un éco-quartier avec une route cantonale ou d’un autre ordre, est très pertinente à designer, à projeter. Ces trottoirs sont des lieux de passages incessant, lieux de vie, comment les valoriser? Sont-ils des espaces vacants, délaissé. Les marges sont souvent des lieux du quotidiens, on peut penser à une autre échelle, celle des friches urbains, autoroutières par exemple, qu’on a beaucoup en Suisse, comment les valoriser? ici au Québec, parfois elles servent de lieux du quotidiens pour le passage, car il y a absence de rues ou sentier sécurisé en piéton pour rejoindre certains points d’intérêts. Enfin la vile, le rural, peut importe, regorgent de marge qui animent sans cesse les designers et designeuses en co-création avec les citoyennes et citoyens.
Merci pour ton article, fort intéressant.
La marge sociale est fascinante également..
Merci Florian pour ce précieux éclairage ! Grâce à ton commentaire, je comprends que l’urbanisme, parfois mal vu ou incompris, peut jouer un grand rôle dans la valorisation de toutes sortes de marges. Une chose est sûre, je ne verrai plus les friches urbaines de la même façon 🙂
Allô, j’aimerais ajouter un point pour donner un exemple, pour éviter des a prioris sur l’urbanisme, le design urbain et plus largement l’aménagement des villes et village. Qui trop souvent on peut penser que c’est planifié au détriment de mère nature. Et bien depuis le début des réflexions sur les villes, il y avait des penseurs, architectes, sociologues, etc qui ont planifié la ville, le village autrement que ce qu’on vit. Le capitalisme a malheureusement pris le dessus aussi.
De manière très simple, je vous laisse regarder cet article qui montre des réflexions écologiques, circulaire, biorégionaliste, urbanistiques qui vont exactement dans le sens permaculturel.
Enfin simplement pour limiter les croyances des permaculteur.e.s. entre autre qui peuvent penser que la ville est contre la nature ou que les urbanistes, architectes, etc. sont contre également. Il y a une richesse énorme dans ces domaines, qui sont certes pas à appliquer, encore, à l’échelle de vos regards, mais qui ne saurait tarder…
https://topophile.net/savoir/lart-dhabiter-la-terre-la-vision-bioregionale-de-kirkpatrick-sale/?fbclid=IwAR2S3K4SGo6YsGy1yN-FfXW12D_MgQg8Wvg8wm5FTD3bfhr9IuJhPt9aQIQ
Merci Florian pour ce lien ! Il est vrai que tous les domaines de design (dont l’urbanisme et l’architecture du paysage) ont leur pierre à apporter à l’édifice d’un monde plus en accord avec la Nature. Si nos modes de vies actuels sont parfois « contre-nature », il n’est pas dit que cela continuera ! Heureusement, chacun-e est important à son échelle pour modifier les façons de vivre et de consommer… Urbanistes, locataires, propriétaires, campagnards ou citadins 🙂