Jardin en permaculture : le paillage

Jardin en permaculture : le paillage

14 juin 2020 0 Par Claudine

Très souvent associé à la permaculture, le paillage du sol soulève de nombreuses questions. Pourquoi ? Comment et avec quoi ? Quand ? Et les semis ? Et les limaces ? Voici quelques éclairages…

Pourquoi pailler ?

La forêt tempérée, sous nos latitudes, est l’écosystème naturel le plus stable et c’est pourquoi, sans l’intervention des humains, tout milieu tend à se transformer en forêt. Or, le sol y est toujours couvert par des amas de matières organiques diverses (feuilles, herbes sèches, fragments de bois, etc.), remplis de vie : la litière. Des événements tels qu’inondations, glissements de terrain et fouissement par les animaux sauvages créent des exceptions, mais c’est ainsi : la terre n’est presque jamais à nue. Pour comprendre pourquoi, mettons-nous à genoux et observons la vie du sol…

Collemboles, cloportes, limaces (elles ont aussi leur rôle à jouer !), fourmis, insectes, bactéries et microbes en tous genres prolifèrent sur, dans ou juste au-dessous de la couverture du sol. Il y fait toujours frais, humide et sombre, créant ainsi les conditions idéales pour ces petits êtres pleins de ressources. C’est en effet grâce à eux que toutes ces matières végétales sont progressivement broyées, mangées, déféquées et ainsi rendues disponibles notamment pour les vers de terre, créateurs du complexe argilo-humique (1) qui nourrit toutes les plantes que nous consommons. He oui ! Les vers de terre édentés ne mangent pas les végétaux frais, mais bien les matières prédigérées par tous ces petits organismes vivant dans la litière et juste au-dessous… Ensemble, ils constituent les principaux garants d’une végétation saine et abondante contribuant à rendre le sol riche, meuble et aéré.

Retour au jardin… Quelles peuvent bien être les raisons de pailler son potager ? Elles sont multiples !

Premièrement, en apportant la nourriture dont a besoin la faune du sol, vous permettez la création d’humus et de complexe argilo-humique, primordiaux pour l’équilibre et la croissance de vos plantes. Grâce au couvert végétal décomposé par les organismes du sol, un compost se forme progressivement sur vos plates-bandes, nourrissant vos précieux légumes. Ainsi, la nécessité de fertiliser vos cultures devient sporadique, voir inutile…

Deuxièmement, le paillage permet à tous ces organismes décomposeurs, généralement très sensibles à la lumière et à la sécheresse, de travailler en toute quiétude directement à la surface du sol et de le rendre bien meuble… ce qui lui permet non seulement d’absorber l’eau en quantités énormes, offrant à boire à vos cultures, mais aussi de ne pas disparaître. Disparaître ? C’est bien le mot : l’érosion (le fait que la terre arable soit emportée par les pluies jusque dans les cours d’eau) ainsi que la lixiviation des sols (le lessivage des sels solubles contenus dans le sol, et nécessaires notamment aux plantes) est un phénomène d’ampleur mondiale et un désastre écologique largement méconnu (2). A votre échelle, il est temps de maintenir votre sol là où il est, car il y est mieux que dans la mer… De plus, un sol meuble permet à vos plantes de mieux respirer (car elles respirent aussi par leurs racines !) et facilite considérablement le désherbage 🙂

En termes très pratiques, le paillage rend un grand service au jardinier lorsqu’il fait chaud : il réduit l’évaporation de l’eau contenue dans le sol. Arroser tous les jours devient alors inutile. Pour vous donner un exemple concret : dans notre serre remplie de vigoureux plants de tomates, il faisait presque toujours plus de 30°C durant l’été dernier. Or, une fois les plants assez grands, nous n’avons arrosé… Qu’une fois, en trois mois. 

Enfin, de très nombreuses recherches (3) prouvent que les organismes du sol sont nécessaires au bien-être des plantes. Premièrement, parce qu’ils retiennent l’eau et mettent à leur disposition des éléments nutritifs autrement non assimilables, leur permettant de se nourrir de façon équilibrée et en fonction de leurs besoins. Dans l’agriculture conventionnelle, l’utilisation d’engrais solubles est rendue nécessaire par la mort des sols, qui n’offrent que très peu de nutriments aux cultures : or, ces engrais surchargés en certains éléments nourrissent la plante de façon déséquilibrée, la rendant fragile et sensibles aux maladies (tout comme nous, dont le système immunitaire est affaibli par une alimentation déséquilibrée)… Ce qui justifie l’utilisation des pesticides et insecticides, détruisant non seulement les agents pathogènes et les nuisibles, mais aussi toutes la faune et la flore bénéfiques aux plantes. Un sol couvert permet également la prolifération de champignons qui, entre autres avantages et grâce à leur réseau mycorhizien en lien avec les racines des plantes, leur permettent de communiquer entre elles. Un sol couvert et donc vivant permet ainsi aux plantes de manger, de boire et de parler… C’est la fête !

Utile pour vos plantes, pour économiser de l’eau et votre dos, le paillage est aussi un bon moyen de délimiter vos espaces de culture, enjoliver le jardin, et garder propres les légumes qui poussent au sol. Mais alors, est-ce que le paillage n’a que des avantages ? Rendez-vous plus bas au chapitre « limaces »…

Comment ?

Qu’on se le dise, un paillage épars et mince ne servira pas à grand-chose. Pour qu’il maintienne vraiment l’humidité, protège le sol de l’érosion et aide les créatures qui y vivent, il est préférable selon nous de déposer un paillage dense d’au moins 5 cm d’épaisseur. Plus il sera mince, plus il sera mangé rapidement, et plus vous devrez en remettre souvent. Cependant, cela dépend de vos projets de culture : c’est donc à vous de voir ce qui est le plus adapté.

Il est idéal de pailler après une période de pluies. Ainsi, le sol est bien humide. En revanche, si celui-ci est plutôt sec, il est important de bien arroser avant de couvrir, afin que les effets bénéfiques du paillage démarrent dès qu’il est posé. Enfin, si de forts vents sont prévus, arroser le paillage nouvellement posé permet de l’alourdir et d’éviter qu’il s’envole. Déposer des branchages à la surface est également une solution (notamment à l’automne, afin de maintenir la couverture de sol en place durant tout l’hiver).

Avec quoi ?

Bien qu’on parle généralement de « paillage », il est possible d’utiliser à peu près n’importe quoi pour couvrir le sol (nous évitons quoi qu’il en soit le plastique). Les méthodes changeront en fonction des matériaux à disposition, du budget, des envies : paille, feuilles, herbes sèches, gazon sec (n’utilisez pas de gazon frais, ou alors mélangé à des matières sèches, car il a tendance à pourrir lorsqu’il est déposé en couches trop épaisses), épluchures, broyats, voir même graviers ou cailloux pour les plantes aimant les sols plutôt pauvres.

Dans notre jardin, du printemps à l’automne nous utilisons principalement de la paille car, produite sur le lieu où nous vivons, elle est facilement accessible et locale. La paille a l’avantage de se dégrader assez lentement et le paillage posé au printemps suffit ainsi pour toute la saison. Juste avant la fin de l’automne, lorsque nous préparons le jardin pour la pause hivernale, nous récoltons les feuilles des alentours, un incroyable paillage très équilibré qui sera dévoré tout au long de l’hiver par les micro et macro-organismes. Au printemps, il n’en restera presque plus rien : tant mieux, car c’est la période des semis !

Quand ?

Le sol de forêt n’est certes jamais à nu, mais l’épaisseur du couvert végétal varie d’une saison à l’autre. A l’automne, les arbres ayant perdu leurs feuilles et certaines herbes s’étant desséchées, le « paillage » est très épais. Cela protège du froid les organismes du sol, qui peuvent ainsi décomposer en toute quiétude les matières organiques durant l’hiver. Ainsi, quand les beaux jours reviennent, cette couche a bien minci. La nature fait bien les choses, car c’est précisément à ce moment-là que les graines cherchent à germer, ce qui serait impossible sous une couverture trop épaisse.

Dans votre jardin, l’idéal semble donc de copier la nature. Couvrez bien votre sol à l’automne, idéalement avec des feuilles (matériaux équilibré et qui se décompose plus rapidement que la paille, par exemple), et laissez ces petits organismes travailler pour vous durant l’hiver. Au printemps, à moins que vous viviez dans une zone très sèche, je vous recommande de ne pas ajouter de couverture de sol, ou très peu. Ainsi, vous pourrez facilement faire vos semis et ajouterez une bonne épaisseur de paillage une fois les plantons devenus suffisamment grands, c’est-à-dire généralement un peu avant les grandes chaleurs. Sachez toutefois que les plantes elles-mêmes, en fonction de leur nature, font un excellent paillage. Pour peu que leur feuillage soit un peu dense et proche du sol (ce qui n’est pas le cas d’un arbuste par exemple, mais bien celui des salades, tomates, courgettes, etc.), il contribuera grandement à le protéger de la chaleur (évaporation de l’eau) et des fortes pluies (érosion et lixiviation). Cependant, maintenir au moins une petite couche de paillage permettra de nourrir les organismes du sol qui, sinon, iront voir ailleurs.

Enfin, si vous répandez du compost, il est absolument nécessaire de le couvrir avec une couche de paillage suffisamment épaisse pour maintenir l’humidité et l’obscurité à sa surface. Autrement, les éléments bénéfiques du compost seront lessivés à la première pluie un peu forte et les précieux micros et macros-organismes qu’il contient souffriront de la chaleur, de la sécheresse et de la lumière. Quitte à ajouter du compost, autant préserver toute son efficacité.

Et les semis ?

Comme nous l’avons vu au point précédent, un sol très couvert ne permet pas la germination des graines en raison du manque de lumière. C’est pourquoi, juste avant de faire nos semis directs, nous retirons le paillage de la zone, déposons les graines et couvrons éventuellement avec un léger paillage. Lorsque les plants sont suffisamment grands, nous remettons un peu de paillage autours afin de protéger un peu mieux le sol.

Idem, lorsque nous plantons des plants, nous écartons la paille sur une petite zone autours du trou de plantation. Ceci pour une simple raison : si jamais le planton se fait manger par nos amies les limaces, nous le voyons immédiatement et pouvons ainsi le remplacer.

Et les limaces ?

Soyons honnêtes : le paillage constitue pour elles un foyer idéal. Le sol y est frais et humide en permanence, il y a toujours à manger grâce aux matières en décomposition. Mais bien que nous pestons à chaque fois que nos plants se font manger, les limaces sont nos amies (Nous en sommes convaincus. Si vous n’y croyez pas, je vous invite à lire l’article « travailler avec la Nature, pas contre elle » J ), et les nombreux bénéfices offerts par le paillage nous ont convaincus que les limaces sont un dommage collatéral bien moindre par rapport à tous les désavantages d’un sol à nu. Nous n’avons pas d’astuce « contre » les limaces. Nous ne les tuons pas, ni ne mettons d’anti-limaces. Si vous non plus ne voulez pas tuer ces petites créatures, voici les seuls conseils que nous pouvons vous donner, issus de notre expérience :

  • Créez, dans votre potager, un endroit qui sera pour elles plus attractif que vos plates-bandes : un compost, par exemple. Vous pouvez aussi mettre des épluchures sur les chemins ou bien dans certaines zones choisies : la plupart des limaces préféreront se servir à ce beau buffet de matières en voie de décomposition, plutôt qu’à vos plantons difficiles à digérer pour elles.
  • Prévoyez d’avantage de plantons que nécessaire, afin de remplacer ceux qui se seront faits manger.
  • Lorsque vous faites des semis, écartez le paillage sur une zone suffisamment grande, afin de voir si vos graines poussent et pour dissuader les limaces de traverser une zone à nue (qu’elles n’aiment foncièrement pas) pour venir les manger.
  • Si vous plantez des plantons particulièrement précieux, que vous n’avez pas en surplus et que vous voulez vraiment protéger, retirez la couverture de sol sur une grande zone autours des trous de plantation. Vous devrez arroser, mais c’est ainsi.
  • Enfin, la « course à la limace » est assez efficace. J’ai remarqué que souvent, il suffit de quelques individus cachés dans une plate-bande pour y dévorer, nuit après nuit, un grand nombre de plantons. Le soir venu, lorsqu’il commence à faire frais et humide, je vais donc courser les limaces en écartant le paillage : déjà sorties de leur trou, je les trouve facilement et les mets dans le compost. Cela me pousse également à aller visiter mes cultures au moins une fois par jour. Voir les problèmes comme des solutions est aussi un principe de la permaculture J

Conclusion

Après la lecture de cet article, je vous invite à faire une petite balade par champs et forêts, juste après de fortes pluies. Votre mission : comparer le sol des zones cultivées et le sol forestier, avec tous vos sens. Regardez, touchez, humez… Vous constaterez alors, je l’espère, que je sol de forêt est vivant, humide, riche, alors que le sol des champs est souvent silencieux, sec, craquelé, lessivé. L’eau n’y pénètre que mal, la terre s’en échappe, le sol disparaît tout comme la vie. Limaces ou pas, je n’ai personnellement pas envie que mon jardin ressemble à cela. Pour moi, le choix est vite fait : vive le paillage !

(1) Complexe argilo-humique : structure formée principalement dans le tube digestif des vers de terre et composée d’argile et d’humus liés par des minéraux, contenant notamment des nutriments et minéraux nécessaires aux plantes.

(2) A ce propos, l’ouvrage suivant donne de précieuses informations, images à l’appui : Claudia et Lydia Bourguignon. Le Sol, la terre et les champs. Pour retrouver une agriculture saine. Editions Sang de la Terre, Paris, 2015.

(3) A ce sujet, je recommande par exemple le livre suivant, beau, agréable et plein de précieuses informations, notamment sur le caractère indispensable des organismes du sol dans la production… de truffes ! Hervé Covès. Vivre ensemble, notre monde truffé d’amour. Editions Les Monédières, 2016.