La Permaculture est-elle seulement une mode ?
« Permaculture ». Ce mot revient de plus en plus et dans toutes les bouches, que ce soit dans les milieux écolos ou au journal de 20h. Quasiment inconnue il y a quelques années, elle est aujourd’hui portée aux nues ou descendue en flèche, à tout va et à toutes les sauces. Dommage, car on dirait bien que cela lui fait perdre en crédibilité, alors qu’elle peut être un outil formidable vers un mode de vie non destructeur.
Qui a raison ?
La grande question n’est pas de savoir si la permaculture, en tant qu’outil ou que philosophie, sauvera le monde et l’humanité d’une apocalypse que les industriels comme les écolos (et bien souvent, des industriels prétendument écolos) jugent imminente. Imminente peut-être, mais cela tombe bien, car chacun semble avoir la potion magique –ou la poudre de perlimpinpin- pour résoudre tous les problèmes de notre civilisation. Qu’il s’agisse de compensation CO2 ou de fervent militantisme de la part de « ceux qui savent » versus « les ignorants », chacun semble y trouver son compte et faire de l’écologie son cheval de bataille.
Dans cette mêlée, bien des institutions et des individus y perdent des plumes mais surtout, surtout, y gagnent de l’argent. De l’argent ou de la notoriété, de l’importance ou du pouvoir, finalement le but est le même : tirer la couverture à soi. Or, dans cette mêlée disais-je, la permaculture fait soit figure de grand sauveur, soit de grand méchant, est célébrée parfois comme la solution divine à toutes les dévastations causées par la diabolique agriculture conventionnelle, ou au contraire accusée d’être irrationnelle et irréaliste, pratiquée par des néo-ruraux hors contexte et autarciques… Mais dans cette bataille des idées, qui a raison et qui a tort ? Personne vous dirais-je, car de mon point de vue ce n’est ni la méchante industrie qui détruit le monde, ni la gentille permaculture qui le sauvera… Il n’y a que des femmes, des hommes et des enfants qui font des choix et décident ou non de vivre en harmonie les uns avec les autres, avec leur milieu, et en ne prélevant que leur juste part… Ou pas. Tout cela est bien beau me direz-vous, or les faits sont là ; l’industrie et le mode de vie « civilisé » qui prévaut sur une bonne partie de la planète depuis bien trop longtemps a eu et continue d’avoir des effets destructeurs, alors que les actionnaires en tous genres se remplissent les poches ou imposent leurs lois pendant que la majorité de la population humaine se fait piller et empoisonner, pour finir malade et affamée. Oui, c’est vrai. Mais ce n’est pas la permaculture qui sauvera le monde, c’est vous. En revanche, en tant qu’outil et philosophie de vie, elle peut vous aider dans vos choix et vous proposer des solutions possibles pour vivre de façon à perpétuer la vie… Et sa notoriété soudaine a tendance a le faire oublier.
Remettre le clocher au milieu du village
En voilà, une expression bien traditionnelle. N’empêche, elle signifie ce qu’elle signifie : remettons les choses à leur juste place, et que ça saute. En matière de permaculture il était temps, car l’effet de mode dont elle est l’objet lui porte bien grand tort. Pourquoi ? Non pas parce qu’elle devient connue, au contraire : à mon sens, c’est un bien. Mais parce qu’en devenant si (mé-)connue si vite, elle donne lieu à de nombreuses rumeurs, aussi infondées que mystérieuses. « La permaculture est l’opposée de l’agriculture conventionnelle ». « La permaculture permet de produire de la nourriture sans effort ». « La permaculture est la solution pour réduire notre impact écologique ». « La permaculture est une science new-age touchant au spirituel ». Et ainsi de suite… Rien de tout cela n’est vrai, ou mérite d’être sérieusement nuancé. La permaculture tire ses origines de l’agriculture et son but premier, tel que défini par les auteurs du premier ouvrage appelé Perma-culture 1 (Bill Mollison et David Holmgren) dans les années 70, était de produire de la nourriture pour les humains en utilisant les végétaux et les animaux. En cela, elle n’est pas opposée à l’agriculture conventionnelle et n’a rien inventé. Or, pour produire de la nourriture, un effort certain est nécessaire ; ainsi, que vous cultiviez votre jardin ou votre micro-ferme en permaculture ou de façon traditionnelle, si vous voulez pouvoir manger et n’êtes pas chasseur-cueilleur, il vous faudra travailler. Il est tout à fait possible de produire cette nourriture et de vivre en ayant un impact écologique moindre, ce que bien des peuples sur la planète font depuis des milliers d’années et continuent de faire sans qu’on leur ait mis un manuel et permaculture entre les mains. Ce n’est donc pas « la permaculture » qui permet de réduire notre impact écologique, mais chacun-es de nous en tant qu’Humain-es inscrit-es dans un milieu donné, comme déjà mentionné plus haut, et en faisant des choix rationnels. Enfin, la permaculture en tant que telle n’est pas née de la dernière pluie, puisque le premier ouvrage connu parlant spécifiquement d’une « agriculture permanente », c’est-à-dire une agriculture qui permettrait de maintenir la fertilité des sols à l’infinie, date de 1910 (par Cyril Hopkins, Soil Fertility and Permanent Agriculture). New age, la permaculture ne l’est donc certes pas. De même, elle ne relève d’aucune religion d’aucune sorte et n’a pas pour but de stigmatiser, juger ou obliger qui que ce soit à quoi que ce soit. Oui, elle s’inspire de la science moderne comme d’une foule d’autres références, infiniment nombreuses et mouvantes, telles que le bon sens et les techniques agricoles ancestrales des quatre coins du monde… Mais elle n’est en aucun cas le Messie venu sauver le monde, et elle ne prétend pas faire la loi ni énoncer des vérités révolutionnaires et inconditionnelles.
Alors, ça sert à quoi ?
A nouveau, cet effet de mode dont la permaculture est l’objet l’enterre sous tant de spéculations (sans oublier la spéculation financière) que son but premier est bien souvent oublier : aider les humains (qui qu’ils soient) à vivre en harmonie avec leur milieu, en s’inspirant des modèles de la nature (qui s’auto-perpétue depuis des millions d’années sans l’aide de personne), dans leur contexte donné et en optimisant les ressources (quelles qu’elles soient également), sans les épuiser afin que la vie puisse se perpétuer à l’infini. Dans le fond, on pourrait la voir comme une philosophie égoïste puisqu’elle vise en premier lieu à permettre la perpétuation de l’espèce humaine, c’est vrai. Mais en cela elle englobe tout le vivant, puisque tout le vivant est nécessaire à la perpétuation de l’humanité. Ainsi, qui veut prendre soin de lui prend soin de son prochain, qu’il s’agisse d’un représentant de son espèce, d’un ver de terre, ou d’un plant d’orties. En cela, la permaculture est en effet opposée à l’agriculture conventionnelle, elle permet effectivement de réduire (et non supprimer) les efforts à fournir pour se nourrir, elle peut aider l’humanité à trouver des solutions pour réparer certains dégâts réduire son impact sur son environnement, et elle touche au spirituel en questionnant tout un chacun-e sur sa place dans l’Univers. Selon moi, la permaculture peut en ce sens avoir une grande utilité pour qui trouve logique les éthiques et les outils qu’elle propose… Vous me suivez ?
Tirer la couverture à soi…
Peut-être vous souvenez-vous de l’introduction de cet article : dans la bataille de la civilisation occidentale et industrialisée pour sauver sa peau, chacun cherche à tirer la couverture à soi en affirmant qu’il a raison et que les autres, quels qu’ils fussent, ont tort. Dans ce grand méli-mélo d’affirmations et de contre-information, pauvre hères que nous sommes, nous avons tendance à culpabiliser et non s’en faut, car les industriels nous font culpabiliser pour gagner encore plus de sous. Créer un mal-être, voici la clef pour faire consommer ! Ainsi, que le citoyen moyen achète un sac « écolo » plus cher ou trois sacs « non écolos » moins chers, l’industriel y trouve son compte. Attention, je ne dis pas ici qu’il est inutile de prendre garde à notre consommation ! Rappelez-vous que je prône la sobriété heureuse… Mais une chose est certaine : ceux qui le veulent et le peuvent ne se privent pas de gagner de l’argent en surfant sur la vague de l’écologie, en usant et abusant de tous les stratagèmes possibles, dont la culpabilité. La permaculture n’y échappe pas : désignée par certains (à tort, mais ne revenons pas là-dessus) comme la solution unique et infaillible pour sauver l’humanité, elle a été prise et reprise par tous ces petits malins qui veulent justement surfer sur la vague en utilisant n’importe quel moyen. Or, l’avantage économique de la permaculture, c’est qu’elle n’est pas une marque déposée, n’est protégée par aucune loi (heureusement !!) et n’est figée par aucun organisme quelconque, tel que la langue française par la sacro-sainte Académie Française. Et pour cause ; la permaculture se veut volontairement mouvante, adaptable à tous les contextes. L’apprentissage de la permaculture en tant que philosophie et outil de conception se fait d’ailleurs presque uniquement par la pratique et le partage d’informations, que ce soit par la littérature certes, mais surtout par la discussion et l’échange, et n’est évalué que lors de journées d’échanges visant à permettre à chaque participant (l’apprenti comme les mentors) d’apprendre les uns des autres afin d’améliorer leur compréhension des concepts permaculturels. Ainsi, une « permaculture » qui serait enseignée dans une Université, avec un programme et des évaluations, ne serait plus de la permaculture… C’est pourquoi et tant mieux, elle peut être enseignée par tout le monde du moment qu’il-elle a compris de quoi il-elle parle. Ce qui n’est pas toujours le cas, et c’est pourquoi malgré tout, il existe des formations en permaculture.
Se former en permaculture ?
He oui ! il y a des formations en permaculture. C’est d’ailleurs un passage quasi-obligé pour qui veut en saisir le sens, à moins qu’il-elle ait la science infuse, ce qui semble peu probable. Ces formations, en particulier celles qui visent à apprendre le design de projet et de lieux selon les principes de la permaculture (on appelle cela un-e designer en permaculture), ont pour but premier de faire comprendre à l’élève que la remise en question perpétuelle est nécessaire et que rien n’est figé, aussi vrai qu’après l’hiver il vient le printemps. Cet apprentissage se faisant par la pratique, les discussions en groupes et souvent avec des petits dessins, sans que personne ne prétende avoir raison ou tort, il s’inscrirait bien mal dans un programme universitaire. C’est pourquoi, avec les avantages et les inconvénients que cela apporte, la permaculture est enseignée par des personnes de toutes les couches sociales, de toutes les religions et de contextes très différents, au travers de livres, de blogs, de films, de cours, de stages… Certains cherchent probablement à tirer la couverture à eux et partagent des informations fondamentalement fausses, telle que la pratique l’a montré (non, un ver de terre coupé en deux ne donne pas deux vers de terre). Mais une chose est certaine : qu’il s’agisse d’un ouvrage écrit par un mentor de la permaculture ou du conseil de votre voisin qui n’a jamais entendu parler d’elle, faites-vous votre propre avis, essayez, ratez si besoin, car la pratique est le meilleur des apprentissages, que vous l’appeliez « permaculture » ou non.
Pour moi et dans mon contexte particulier, une chose est cependant certaine : la permaculture est un outil formidable pour tendre vers la perpétuation de la vie, la simplicité et la joie… Qu’elle soit à la mode ou pas.
J’adore tes articles, tellement plein de bon sens. A dire vrai, je suis totalement admirative de ta capacité à écrire simplement les choses que je pense ! Une belle source d’inspiration
Merci beaucoup Elodie pour ces encouragements 🙂